Cannes 2022 : GODLAND ou le pays des Lilliputiens
Dans une période où nous, journalistes, avons la fâcheuse tendance à employer des hyperboles en qualifiant d’« historique », d’« évènement » ou de « magnifique » tout ce qui nous tombe sous la plume ( à tel point que ces termes en deviennent galvaudés), il apparaît que ce troisième long métrage de l’islandais Hlynur Pálmason, n’ayons pas peur de le dire, est un chef d’œuvre en tous points ! Hlynur Pálmason avait déjà été remarqué à Cannes en 2019 avec son film précédent UN JOUR SI BLANC, présenté à la Semaine de la Critique.
Le point de départ de GODLAND, c’est une série de daguerréotypes, les plus anciens retrouvés en Islande. Daguerréotypes ? Il s’agit d’un des premiers procédés de la photographie, élaboré, par les Français Niecéphore Nièpce et Louis Daguerre en 1839 et qui permet de fixer les images sur plaque de verre après un temps de pause important des sujets.
« J’avais assisté, dit le réalisateur*, à une conférence au Danemark sur le processus au collodion, donnée par Hörður Geirsson, un spécialiste de la photographie ancienne. On a sympathisé et il m’a montré tout le processus de préparation de la plaque humide, d’exposition et de développement. Cela m’a vraiment fasciné et je suis tombé amoureux de la qualité d’image et de l’odeur des produits chimiques. (…) J’ai réalisé que le vieux format académique m’allait très bien – j’avais eu quelques problèmes avec le format plus large sur certains de mes travaux précédents. Tout est devenu facile et amusant, avec ce nouveau rapport de cadre. Cela rendait les visages magnifiques (…) Je crois aussi que le cadre noir entourant l’image crée une rupture plus dure à chaque fois qu’on passe d’une image à l’autre, ce qui donne un certain caractère au montage. L’encadrement noir adoucit par ailleurs l’image et lui donne cette belle forme féminine dans ses contours. »

Hlynur Pálmason imagine tout un contexte et une histoire autour de ces trésors oubliés… une histoire qui met en scène la relation d’amour / haine entretenue pendant des siècles entre Islande et Danemark. Un jeune pasteur danois se voit en effet confier la mission d’aller construire une église sur cette île encore hantée par la mythologie scandinave et pour y prêcher dans une communauté de colons la parole des Evangiles.
GODLAND, qui est conçu en deux parties distinctes, raconte d’abord la terrible expédition depuis l’arrivée de ce passionné de photo (le nec plus ultra de la civilisation !) jusqu’à son point de destination. La seconde se déroule dans cette petite communauté de colons, dans ce qui ressemble à un petit Far West !
« Nous avons tourné chronologiquement, précise Hlynur Pálmason, ce qui est un véritable cadeau, au point que je ne vois pas du tout comment nous aurions fait autrement. Nous faisions l’expérience du voyage en même temps que nos personnages. Ce film a représenté un énorme défi. »

En fait de dyptique, on pourrait évoquer un périple en enfer, sur une terre aride et glaciale où ne pousse pas un arbre et une arrivée en jardin d’Eden… un Eden où le serpent tentateur ne peut que se nicher pour faire trébucher ses protagonistes.
Qu’est-ce que ce dieu figuré dans ce titre GODLAND ? Un dieu païen sans doute qui se manifeste dans sa nature redoutable… des pierres léchées par le vent et le froid et un volcan qui éructe et vomit dans l’une des sublimes scènes que compte le film… Un pays où l’homme ne peut qu’être réduit qu’à bien peu de chose, à l’échelle des Lilliputiens dans la fable de Jonathan Swift (« Les voyages de Gulliver » 1721).
L’antagoniste du pasteur Lucas (joué par Elliott Crossett Grove), c’est son guide islandais Ragnar (Ingvar Sigurosson). Aussi bien dans la première partie, alors que la haine grandit entre ces hommes qui ne communiquent pas dans la même langue et ne peuvent donc pas se comprendre, Lucas dépend de Ragnar, aussi bien dans la seconde partie, la situation est inversée. Dans le village des colons danois, c’est le pasteur qui est considéré avec prestige, quoiqu’encombré de bien des ridicules et d’un orgueil boursoufflé.
Une scène de mariage dans un panoramique virtuose à 360° nous évoque le cinéma de John Ford (pas par sa forme mais par sa description d’une société simple et joyeuse). GODLAND se prête aussi bien à des références du cinéma muet, comme LES RAPACES de Erich von Stroheim (1924), qu’aux premiers westerns de l’époque parlante du maître du western (comme LA PATROUILLE PERDUE (1934), LA CHEVAUCHEE FANTASTIQUE (1939) ou LA POURSUITE INFERNALE (1946) pour ne citer qu’eux…).
Comme chez John Ford, la direction d’acteur est impeccable de naturalisme avec une mention spéciale pour la fille du réalisateur, la petite Ida Mekkin Hlyndottir, 13 ans… Gamine espiègle à la chevelure blonde qui, comme sa sœur dans le film, Vic Carmen Sonne, illumine de joie et de beauté cette île aux airs de Moloch.
Tous ces acteurs, tous ces paysages impriment durablement notre plaque de daguerréotype interne. Le spectateur, on vous le jure d’un crachat au sol, ne peut qu’être marqué, ému et captivé par la vision de ce grand film en petit format carré !
*Les citations du réalisateur Hlynur Pálmason sont tirées du dossier de presse du film.
photos © AFP
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