LA MONTAGNE de Thomas Salvador : vertige des auteurs !
Le premier surpris est très probablement le réalisateur et acteur Thomas Salvador qui a voulu très humblement nous faire partager son amour de l’alpinisme, tout en restant fidèle à son idée d’un cinéma fantastique… d’auteur !
« Quand on parle de PIFFF, on peut se dire que c’est joué au hasard, aux dés, non *! Le PIFFF ça veut dire Paris International Fantastic Film Festival et c’est vrai que j’avais un peu peur que ce soit un public de spécialistes, de « geeks » (je ne dis pas ça de façon péjorative)… On y voit pas mal de films d’horreur, de films qui font peur et tout ça alors que le film LA MONTAGNE est très doux… Je redoutais que les spectateurs s’ennuient mais le film a eu un super succès et il a reçu le Grand Prix, qui est le prix du public**, ainsi que le Prix Ciné+ Frissons. J’étais bien évidemment extrêmement surpris et très heureux ! »

L’actrice Louise Bourgoin nous explique en quoi le cinéma de Thomas Salvador est singulier :
« Je connaissais déjà le travail de Thomas Salvador à travers son premier film VINCENT N’A PAS D’ECAILLES (2014) qui m’avait beaucoup marqué. C’était l’histoire de quelqu’un qui a des pouvoirs de superhéros, mais filmé à la façon des Dardenne, dans un film très naturaliste. C’était une trouvaille inouïe. Dans ce film LA MONTAGNE il y a à nouveau encore une trouvaille : c’est très inventif. On n’a pas vu ça dans d’autres films. C’était un scénario très différent de tout ce que j’ai pu recevoir jusqu’à présent. D’abord il y a une partie du film qui est complètement, on peut dire, « expérimentale et fantastique » et puis c’était une proposition très belle d’une histoire d’amour inédite. L’histoire tient de bout en bout, sans moment perdu. On est captivé pourtant c’est très simple. Il y a une épure presque japonaise… »
Pour Thomas Salvador, le genre fantastique ne peut pas être un domaine exclusivement réservé aux seuls Américains ou aux Sud-Coréens. Surtout il y a de la place pour tous et pour toutes les propositions :
« Il y a dans mon film une dimension fantastique « objective », dit-il. On voit des choses qu’on ne voit pas dans son quotidien mais entre les lignes, il y a très clairement du fantastique dans l’appel de la montagne. Ca peut rappeler LA MONTAGNE MAGIQUE de Thomas Mann. Il y a aussi du fantastique dans cette histoire d’amour puisque mon personnage est sur le point de disparaître à jamais. Le personnage de Léa (Louise Bourgoin) en a conscience : elle a une intuition, l’instinct d’où il se trouve et comment le retrouver. Cette conscience est comme un fil d’Ariane qui les relie, bien qu’ils se connaissent peu ! Ils ont envie de poursuivre la rencontre et poursuivre l’aventure, même s’ils se « ratent » un peu et qu’ils ne font que se croiser au début du film. »

Quand Louise Bourgoin a été approchée pour le rôle, scénario mis-à-part, c’est l’engagement physique qui l’a séduite. La montagne n’est pas son domaine naturel puisque, enfant, elle n’était jamais allée aux sports d’hiver :
« Dans ce film on me proposait de tourner à 4000 mètres d’altitude et c’était incroyable de faire ça. Pour des raisons écologiques nous avons décidé de nous rendre à pied sur les lieux de tournage, de monter en téléphérique, de ne pas utiliser d’hélicoptère. Donc on montait avec l’équipe, qui était très réduite, et on transportait le matériel aux endroits où on a tourné, comme par exemple sur des glaciers. On a vécu des choses extrêmement dangereuses : nous étions tous encordés parce que ces glaciers pouvaient possiblement contenir des crevasses. On a du mal à respirer à 4000 mètres. Il y a 30% d’oxygène en moins. On est obligé de jouer de façon très particulière… C’est très fatigant, on a vite des vertiges… On a tous eu des migraines… C’est compliqué de multiplier les prises… En tout cas, on est très concentrés pour réussir la séquence et comme on sait que c’est difficile de respirer, on va droit au but ! »

Film écoresponsable donc, LA MONTAGNE témoigne aussi indirectement d’une réalité que l’on préférerait nier : le réchauffement climatique est à l’œuvre et il n’y aura pas de retour en arrière. Thomas Salvador en atteste :
« C’était important pour moi de faire un film aujourd’hui qui prenne en compte la réalité de ce qui se passe là-haut, c’est-à-dire que la fonte des glaciers c’est l’un des plus gros indicateurs visuels du réchauffement climatique. La Mer de Glaces, qui se trouve à Chamonix et qui est l’un des plus grands glaciers d’Europe, elle fond chaque année. D’ailleurs dans le film on le voit très clairement et il n’y a pas besoin d’explications : ça a saisi tous les membres de l’équipe. Ils ont halluciné de voir les marquages du niveau du glacier en 1990, en 2000, en 2010 et voir où il en est aujourd’hui… »
LA MONTAGNE est une variation contemporaine sur le thème d’Orphée et d’Eurydice : un film romantique au cœur palpitant, ainsi qu’un hymne au naturel et au surnaturel.
*(NDA : jeu de mot avec le terme argotique « pif », qui, comme tout le monde le sait, désigne le nez)
**(NDA : ce prix s’intitule « L’œil d’or »)