MON LÉGIONNAIRE : le treillis va si bien à Louis Garrel
La Légion étrangère a toujours suscité beaucoup de fantasmes. Ce corps de l’Armée de terre se considère lui-même comme « l’élite » des forces militaires françaises, et ce prestige continue d’attirer des hommes venus du monde entier pour combattre sous les couleurs du drapeau tricolore. L’autre caractéristique très particulière de la Légion étrangère, c’est qu’elle ne recrute que des hommes. Et pendant les cinq premières années où ils sont engagés, ces derniers doivent obligatoirement rester célibataires et ne pas avoir d’enfants. Une règle transgressée par Vlad (Alexander Kuznetsov) et Nika (Ina Marija Bartaité), un couple de jeunes Ukrainiens qui doivent surmonter le principal obstacle à la pérennité de leur relation : l’éloignement lié à l’engagement de Vlad en terrain hostile. Même s’il n’est pas légionnaire mais officier, Maxime (Louis Garrel) connaît bien ce déchirement, puisque sa femme Céline (Camille Cottin) et leur fils de 7 ans sont obligés de vivre sur une base militaire en Corse en son absence.
En ce sens, MON LÉGIONNAIRE (2021) n’est pas un film de guerre mais plutôt un film sur le couple à l’épreuve de la guerre. La réalisatrice alterne en effet entre les plans au Mali où Maxime et Vlad risquent leur vie, et la France où leurs compagnes trépignent d’impatience en se demandant dans quel état physique et psychologique ils vont revenir. Rachel Lang montre ainsi ces femmes contraintes par un milieu militaire très traditionnaliste de participer à des activités définies – dont une séance d’épilation assez mémorable –, alors que Céline est une avocate indépendante qui aimerait pouvoir mener sa vie de son côté. Et si le film se distingue par un réalisme parfois proche du documentaire – notamment dans les rares scènes de guerre, qui sont d’une sobriété notable –, c’est parce que la réalisatrice n’a pas seulement compté sur son bagage d’ancienne réserviste de l’Armée de terre – engagée dans l’opération Barkhane au Sahel en 2017 – pour préparer ce film très personnel : elle a aussi rencontré beaucoup de femmes de militaires pour mieux connaître leur vie.

Mais elle a aussi osé faire confiance à Louis Garrel pour interpréter le rôle principal. Un choix audacieux, tant l’acteur parisien est éloigné de l’univers du film, mais qui se révèle payant. Grâce à une préparation physique et militaire de six mois, il est parfaitement crédible dans ce rôle à mille lieues de ses standards habituels. Et comme on connait déjà tout le talent d’Alexander Kuznetsov depuis LETO (Kirill Serebrennikov, 2018), la véritable révélation de MON LÉGIONNAIRE est l’actrice lituanienne Ina Marija Bartaité, tragiquement décédée à seulement 24 ans, juste avant la sortie du film. Le casting du long-métrage rend aussi un hommage discret au chef-d’œuvre de Claire Denis sur la Légion étrangère (BEAU TRAVAIL, 2000, qui ressort dans les salles en ce moment), puisque Grégoire Colin est présent sur les deux affiches. Mais on aurait plus tendance à rapprocher MON LÉGIONNAIRE d’un film récent comme THE SINGING CLUB (2019), où Peter Cattaneo raconte l’histoire vraie des célèbres chorales lancées par des épouses de soldats britanniques elles aussi coincées sur des bases militaires.
En France, le discret LE SOLEIL REVIENDRA (Cheyenne Carron, 2020) a lui aussi très bien raconté le quotidien des femmes de militaires, un milieu qui fascine sa réalisatrice depuis longtemps, comme la Légion étrangère, sujet de l’un de ses films précédents, JEUNESSE AUX CŒURS ARDENTS (2018). Quant à Rachel Lang, elle réussit avec MON LÉGIONNAIRE son passage au drame, après avoir achevé en 2016 sa trilogie sur le passage à l’âge adulte avec BADEN BADEN, premier long-métrage très réussi qui faisait suite à deux courts, POUR TOI JE FERAI BATAILLE (2010) et LES NAVETS BLANCS EMPÊCHENT DE DORMIR (2011). Et en osant utiliser son expérience personnelle pour tourner un film sur un sujet aussi tabou dans l’armée française, elle s’impose incontestablement comme l’une des réalisatrices et scénaristes à suivre de près dans les années à venir. Le Festival de Cannes l’a bien compris : MON LÉGIONNAIRE y a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs l’an dernier.
