Roger Corman, roi incontestable de la série B
Cette phrase un brin provocatrice est le titre d’une autobiographie écrite par Roger Corman, et publiée en France par Capricci en 2018. Le réalisateur y déroule ce qui a été sa méthode et sa marque de fabrique pendant toute sa carrière, entamée il y a presque 70 ans : produire des films vite et avec peu de moyens, avec parfois un résultat qui n’a pas à rougir face à de plus grosses productions. Né en 1926, Roger Corman fait d'abord quelques petits boulots à Hollywood, où il gravit les échelons avant d’écrire son premier script pour le cinéma, qui servira de base au film de série B LA TUEUSE DE LAS VEGAS (Nathan Juran, 1953), sur lequel il a aussi sa première expérience de producteur, un rôle qu’il occupera pendant toute sa carrière sur près de 400 films.
Mais à partir de 1955 avec CINQ FUSILS À L’OUEST, Corman s’essaye à la réalisation de séries B – il tournera plus de 50 films – en touchant à tous les genres, du western à l’horreur en passant par le fantastique et la science-fiction. Précurseur du cinéma indépendant et attaché à sa liberté, il conserve le contrôle sur toute la production des films, financés au dollar près et en faisant des économies partout où cela est possible. Résultat, il tourne la plupart de ses réalisations à un rythme éreintant en moins de dix jours, réussissant parfois l’exploit de se contenter de deux. Cela a évidemment causé quelques soucis de finition, mais pas de quoi empêcher Corman de se voir affublé du titre de « Pope of Pop Cinema », ou Roi de la Série B en France. Car certains de ses films sont des trésors du cinéma de genre.

Le temps fort de la carrière de réalisateur de Roger Corman est incontestablement ce que l’on nomme le cycle Edgar Allan Poe, soit une série de sept films sortis entre 1960 et 1965, où il adapte l’œuvre du célèbre romancier américain. La plus réussie est incontestablement LE MASQUE DE LA MORT ROUGE, qui constitue une curiosité dans sa filmographie. Tourné en plusieurs semaines en Angleterre, ses décors et ses costumes sont exceptionnellement travaillés, et son casting semble se délecter de cette histoire médiévale située dans un château, où un prince et sa compagne s'adonnent à des rites sataniques vivent reclus en festoyant avec des nobles, pendant qu’une mystérieuse peste (la Mort Rouge) ravage les pauvres habitants des alentours.
La photographie technicolor d'un certain Nicolas Roeg est à tomber par terre, Jane Asher est éblouissante, et Vincent Price excellent dans son rôle de seigneur sadique. On retrouve Price dans LA TOMBE DE LIGEIA, le dernier film du cycle Poe signé par Roger Corman, où l’acteur incarne une sorte de dandy, dont le deuxième mariage est hanté par le souvenir de sa première femme décédée.

Mais si Roger Corman représente aujourd’hui un nom mythique, c’est parce qu’il a contribué à faire émerger un nombre incalculable de stars du cinéma américain dans les années 1960 et 1970. James Cameron a par exemple déclaré être allé à la « Roger Corman Film School », ce qui est le cas d’autres figures comme Jonathan Demme, Ron Howard, Peter Bogdanovich ou Joe Dante, quatre réalisateurs lancés par New World Pictures, studio fondé par Roger Corman en 1970, et qui était spécialisé à ses débuts dans les films d’exploitation. Parmi ses autres disciples, il faut citer Martin Scorsese, qui passe une scène de LA TOMBE DE LIGEIA dans MEAN STREETS en 1973, et dont Corman produit BERTHA BOXCAR (1972). Francis Ford Coppola a lui aussi multiplié les casquettes pour Corman avant que ce dernier finance son premier vrai film sorti en 1963, DEMENTIA 13.
Et n’oublions pas non plus les acteurs : Peter Fonda, Dennis Hopper, Bruce Dern, Sylvester Stallone et surtout Jack Nicholson, qui collabore plusieurs fois avec le réalisateur à ses débuts, en tant qu’acteur sur certains films du cycle Edgar Poe, mais aussi en qualité de scénariste sur le film psychédélique culte de Roger Corman, THE TRIP, sorti en plein Summer of Love de 1967. Certaines de ces légendes comme Ron Howard, Peter Bogdanovich et Joe Dante témoignent dans le documentaire inédit ROGER CORMAN, LE ROI DE LA SERIE B (Bertrand Tessier, 2020), dans lequel le réalisateur retrace son parcours en compagnie de sa femme (Julie) et de son frère (Gene), tous les deux producteurs. Un hommage mérité pour ce cinéaste adulé en France, puisqu’il faut rappeler qu’il a été le plus jeune réalisateur à avoir droit à une rétrospective à la Cinémathèque française en 1964, et qu’il a distribué aux Etats-Unis des films de François Truffaut, Alain Resnais, Federico Fellini, Peter Weir, Ingmar Bergman ou Akira Kurosawa. Pas mal pour quelqu’un qui n’a pas fait d’école de cinéma.