LICORICE PIZZA, le nouveau chef-d’œuvre de Paul Thomas Anderson
Il y a d’abord ce titre mystérieux, qui résume tout l’esprit du film, et que l’on traduit littéralement par « pizza à la réglisse », mais qui fait en réalité référence à une chaîne de disquaires – LICORICE PIZZA donc –, présente en Californie pendant la jeunesse de Paul Thomas Anderson. Ce choix illustre aussi à quel point ce film représente un projet personnel pour son réalisateur, puisque celui-ci a grandi dans la vallée de San Fernando (située à Los Angeles) où les personnages de LICORICE PIZZA évoluent. Ces personnages, ce sont Gary et Alana, deux ados qui se rencontrent en 1973 dans le lycée du premier à l’occasion de l’inévitable photo de classe. Alana est assistante photographe, et elle tape immédiatement dans l’œil de Gary, enfant acteur plein d’assurance qui n’hésite pas à l’inviter à dîner. Malgré la différence d’âge qui les sépare, une connexion amicale s’établit entre eux, et ils enchaînent les mésaventures au gré des projets plus ou moins foireux de Gary (vente lits à eau, ouverture d’une salle de flipper…) et de son esprit d’entreprise débordant.
Au fil de leurs pérégrinations dans la « Cité des anges », ils croisent notamment un vieil acteur ringard (joué par… Sean Penn) et son réalisateur (Tom Waits), Jon Peters (Bradley Cooper), le coiffeur totalement allumé de Barbra Streisand, et Joel Wachs (Benny Safdie), candidat à la Mairie de Los Angeles qui doit cacher son homosexualité. Mais les vraies stars du casting, ce sont Cooper Hoffman et Alana Haim, lancés dans le grain bain par Paul Thomas Anderson, puisque c’est la première fois qu’ils apparaissent au cinéma. Le choix de ces acteurs débutants pour jouer les deux personnages principaux est une grande idée : le fils de Philip Seymour Hoffman – acteur fétiche de P.T. Anderson, tragiquement décédé en 2014 – et la chanteuse du groupe Haim – dont tous les clips ont été réalisés par P.T. Anderson – incarnent magnifiquement cet âge si particulier et disons-le, ingrat, de l’adolescence. Et l'alchimie du couple qu'ils forment est d'un naturel totalement désarmant.

Film intimiste sur les premiers émois amoureux et les affres du passage à l’âge adulte, LICORICE PIZZA n’est pas une énième comédie romantique stéréotypée sur l’adolescence. Avec sa virtuosité habituelle, Paul Thomas Anderson saisit aussi l’innocence d’un monde finissant, le Los Angeles de 1973 qui s’apprête à être percuté de plein fouet par le premier choc pétrolier, superbement illustré dans le film par un long traveling accompagné du « Life on Mars? » de David Bowie, l’un des nombreux tubes d’une bande originale mémorable – LICORICE PIZZA étant aussi un terme d’argot désignant un disque vinyle. Scénariste hors pair, P.T. Anderson est aussi un sacré chef opérateur, et le plan-séquence introductif donne tout de suite le ton d’un long-métrage qui frappe par la beauté de sa photo, capturée avec une pellicule 35 mm et des lentilles des années 1970 pour retrouver l’aspect des films de l’époque.
Evidemment, on comprend tout de suite pourquoi LICORICE PIZZA a été considéré à sa sortie comme le jumeau d’un certain ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD (2019), où Quentin Tarantino avait lui aussi mis le paquet sur la reproduction voire la fétichisation d’une certaine époque de Los Angeles, en l’occurrence la fin des années 1960 et du rêve hippie à Hollywood, symbolisée par les crimes de la famille Manson, et la mise au placard d’un acteur désormais ringard (Leonardo DiCaprio), dont on suivait les galères en compagnie de son cascadeur attitré (Brad Pitt).
Mais LICORICE PIZZA rappelle aussi très directement l’indémodable AMERICAN GRAFFITI (1974) de George Lucas, qui met en scène les aventures nocturnes d’ados californiens au début des années 1960, période d’explosion du rock ‘n’ roll. Quant à Paul Thomas Anderson, il revient finalement à l’époque de son enfance californienne – il est né en 1970 –, déjà évoquée de manière très différente dans BOOGIE NIGHTS (1997), grand film sur le monde du porno, mais aussi INHERENT VICE (2014), ambitieux polar adapté de l’œuvre de Thomas Pynchon. Quand on sait que P.T. Anderson a aussi réalisé des chefs-d’œuvre comme MAGNOLIA (1999) et THERE WILL BE BLOOD (2007), on n’a qu’une envie : revoir l’ensemble de sa filmographie en attendant son prochain projet.
