La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé  : les inspirations de Xavier Dolan derrière la série

Xavier Dolan, le talentueux cinéaste québécois, revient sur le devant de la scène avec sa première série "La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé", une Création Originale CANAL+. Ambitieuse sur le fond et splendide dans la forme, "La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé" est une œuvre aussi singulière que le sont ses films. Xavier Dolan revient sur le projet.

Comment est né ce projet ? Pourquoi avoir choisi d’adapter cette histoire ?

J’ai vu la pièce de théâtre « La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé » de Michel-Marc Bouchard à Montréal en juin 2009, qui a été un coup de foudre immédiat pour moi. J’ai tout de suite voulu l’adapter en série, car je rêvais d’en faire une depuis très longtemps.

J’ai grandi avec ma mère qui regardait énormément de feuilletons. Adolescent, je regardais beaucoup la télévision américaine. Une fois adulte, la télévision a continué à faire partie de ma vie de façon assez importante culturellement. C’était pour moi un nouveau défi qui m’a transporté tout au long de la pandémie durant laquelle j’ai commencé à écrire la série, et qui m’a permis de me remettre beaucoup en question au niveau de ma démarche et du processus créatif.

Comment avez-vous géré le format de la série ?

J’ai réalisé et approché cette série comme j’ai approché tous mes autres projets : avec énormément de fougue et de passion. Et évidemment, je voulais approcher la télévision pour créer une série semblable à celles que j’avais toujours aimées et admirées.

Je savais que le temps était compté différemment, mais ça ne m’a pas empêché de prendre mon temps pour exposer les prémisses, les enjeux et dévoiler les personnages dans toute leur vulnérabilité. Je savais que rythmiquement, il y avait des nuances, des choses qui allaient m’amener ailleurs qu’avec le cinéma. 

Votre série mélange les genres. En quoi est-elle différente de la pièce de théâtre ?

L’aspect fantaisiste n’était pas présent dans la pièce de théâtre. Pour la petite histoire, la pièce – du moins le texte original – se déroulait sur quelques heures et il s’agissait d’une sorte de ballet entre les personnages de cette famille qui défilaient à tour de rôle dans la salle d’embaument où le personnage de Mireille embaume sa mère. Tous les protagonistes défilaient dans cette salle et y allaient de leur confession, de leur grief, sous la forme d’une conversation.

C’était à travers ces conversations, en une seule et même nuit que les personnages nous racontaient leurs histoires et nous expliquaient ce qu’il s’était passé cette fameuse nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Je savais en voyant la pièce que je n’avais pas envie d’en faire un récit linéaire et un huis clos qui se déclinerait seulement sur quelques heures. J’avais envie de filmer tout ce qu’on ne voyait pas, ce qui était évoqué : les années 90, la mère, cet antagoniste qui est Laurier Gaudreault… Ce dispositif était pour moi une manière d’humaniser les protagonistes, montrer leur anxiété et leur vulnérabilité mais aussi ajouter une touche plus surréaliste et poétique à la série afin de lui donner une texture, une réalité alternative qui correspond selon moi au genre du thriller psychologique.

La série explore la famille dysfonctionnelle, le deuil, la violence, l'addiction, l'homosexualité... Ce sont des thèmes qui vous tiennent à cœur ?

Ce sont des sujets qui m'interpellent énormément, qui m'inspirent aussi, qui m'emmènent constamment ailleurs, qui me forcent à me remettre en question.

Mais est-ce que ce sont des thèmes ou des faits, des situations ? L'homosexualité n'est pas un thème. On ne fait pas des films sur le sujet de l'hétérosexualité. Alors pourquoi est-ce qu'on en ferait sur le sujet de l'homosexualité ? Je n’ai jamais fait de films sur le thème de l'homosexualité, ce sont des personnages qui le sont ou qui ne le sont pas, et on s’en fout. Les intrigues de ces films ne tournent jamais autour de la sexualité de ces personnages.

Mais pour ce qui est de la famille, de la violence, ou aussi de l'ostracisme de la société, ce sont des thèmes qui peuvent se décliner de toutes sortes de façons et qui sont des puits sans fonds d’inspiration. On peut les vivre à travers le regard de tellement de protagonistes différents, comme un sujet qui se renouvelle lui-même constamment.

Parlez-nous de votre personnage dans la série, Eliott.

J’ai modifié le personnage comme j’ai aussi modifié énormément d'aspects d'autres personnages dans la série. Je lui ai donné des enjeux plus existentiels, un peu plus profonds que ceux qu’il pouvait avoir dans le texte à l’origine. Concernant l’allure, je pense que c’est important d’explorer de nouvelles textures, et de nouvelles idées. J’aime les transformations. Je pense qu’on porte sur soi des choses qui parlent de nous, qui parlent d’où l’on vient, de l’amour ou du désamour que l’on se porte. Voir un personnage qui est ravagé comme ça par le psoriasis avec un tatouage tout autour de son cou et qui a les cheveux rouges, ce sont des façons d’exprimer qui on est, d’où l’on vient et qui disent énormément de choses avant même que le personnage n’ouvre la bouche. Porter sur lui la souffrance qu'on devine, celle du toxicomane, celle aussi du benjamin, du frère, d'un enfant qui est arrivé très tardivement dans la vie d'une femme qui était dans la quarantaine.

Un enfant de la dernière chance sur qui on a projeté beaucoup d’espoirs et de rêves qui est finalement une déception pour tout le monde. Je trouvais que c’était le physique idéal pour lui. 

La bande originale de la série est signée Hans Zimmer et David Fleming. Comment s’est passée cette collaboration ?

Cela a été une collaboration absolument magnifique. Ce sont des humains assez dissemblables mais totalement complémentaires avec qui j’ai développé une complicité presque immédiatement. Hans est un épicurien, gourmand d’art, de cinéma, de culture et aussi de nourriture. C’est quelqu’un qui aime vivre et donner aux gens autour de lui. C’était forcément une collaboration axée sur la générosité, tout comme la musique qu’ils ont composé qui est très généreuse.

C’était aussi une façon pour moi de tendre un fil sonore musical au travers de la série entière qui donnerait cette unité de temps et de son. 

La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, en intégralité sur CANAL+.