La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : Xavier Dolan, un style unique
Dans La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé (que l'on présentait ici), Xavier Dolan adapte une pièce de Michel Marc Bouchard, mais il est en terrain connu, puisque l'intrigue est centrée sur une famille magnifiquement dysfonctionnelle comme sa filmographie les aime.
On se souvient évidemment des embrouilles mémorables de son personnage avec sa maman dans son premier film, J'ai tué ma mère (2009), mais aussi des montagnes russes émotionnelles d'une autre relation mère-fils, celle du très émouvant Mommy (2014).
On peut aussi citer le terrible père de Melvil Poupaud dans le fantastique Laurence Anyways (2012) ou encore la relation quelque peu violente entre Xavier Dolan et Pierre-Yves Cardinal dans Tom à la ferme (2013). Ce film constitue d'ailleurs le lien le plus évident avec la série, puisqu'il est lui aussi adapté de l'œuvre de Bouchard, et commence par la mort et les funérailles d'un proche.

Si les deux personnages féminins les plus importants de La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé semblent d'abord être ceux de Madeleine (la mère mourante) et de sa fille Mireille (la fille thanatologue qui a coupé les ponts avec ses frères depuis plusieurs décennies), une pièce rapportée de la famille Larouche nous interpelle : Chantal, la compagne de l'un des frères (Julien), une forte tête à la langue bien pendue.
Et les héroïnes vibrantes, ce n'est pas ce qui manque chez Xavier Dolan, qui n'a jamais caché qu'il adore écrire ces rôles féminins. Récemment, on pense à la mère lumineuse (Natalie Portman) de Jacob Tremblay dans Ma vie avec John F. Donovan (2018), ou à Martine, la mère jouée par Nathalie Baye dans un autre drame familial pas évoqué juste au-dessus, Juste la fin du monde (2016).

On aurait évidemment pu citer les héroïnes incarnées par Anne Dorval et Suzanne Clément, les deux grandes actrices récurrentes de la filmographie de Xavier Dolan.
Présente dans tous les films du réalisateur sauf Tom à la ferme et Juste la fin du monde, Anne Dorval fait son retour dans La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé (dans le rôle de Madeleine, la mère), et ce n'est évidemment pas pour nous déplaire tant Xavier Dolan nous a fait adorer cette actrice depuis ses débuts.
Fidèle à ses habitudes, le cinéaste québécois fait aussi appel dans le casting de la série à d'autres acteurs avec qui il a déjà travaillé, comme Éric Bruneau (qui joue Denis), présent dans Laurence Anyways et Les Amours imaginaires (2010), un film où jouait aussi Magalie Lépine-Blondeau, interprète de la géniale Chantal évoquée plus haut.

La filmographie de Xavier Dolan regorge de grandes scènes magnifiées par la musique, et plus particulièrement des morceaux pop plus ou moins célèbres. On repense forcément à Fade to Grey de Visage, ou à A New Error de Moderat dans Laurence Anyways, à The Knife dans Les Amours imaginaires ou encore à Les Moulins de mon Cœur de Michel Legrand dans la scène d'intro inoubliable de Tom à la ferme.
Pour éviter de trop spoiler la bande originale une nouvelle fois très riche de la série, dont Hans Zimmer (excusez du peu) et David Fleming ont composé une partie des titres, on dira simplement que Xavier Dolan renoue encore avec sa passion pour Céline Dion dans La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, quelques années après la célèbre scène de Mommy où les personnages dansaient sur On ne change pas.

Très soignés sur la forme, les films de Xavier ont toujours flatté la rétine. La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé ne déroge pas à cette bonne habitude, puisque les décors et les costumes de la série sont extrêmement riches et illustrent une nouvelle fois le goût du réalisateur pour le vintage (une passion visible dans quasiment toute sa filmographie), puisque l'action alterne entre deux époques, 1991 et 2019.
Habitué à gérer les costumes de la plupart de ses films en plus des casquettes de réalisateur, scénariste, producteur et monteur, Xavier Dolan en fait de même ici sur tous les épisodes, où l'on sent bien son talent pour composer des images qui restent dans les esprits.

La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé est enfin l'occasion pour Xavier Dolan de collaborer à nouveau avec son directeur de la photographie fétiche, André Turpin, chef opérateur de ses cinq précédents films. Car même si le cinéaste a grandi en vouant un culte à certaines séries, la sienne est incontestablement cinématographique.
On y retrouve le grain de ses films, et un format d'image plus large que le 16/9 de la plupart des séries. Pourquoi est-ce important ? Parce que tout au long de sa carrière, Xavier Dolan a expérimenté avec des "aspect ratios" plus ou moins étroits et adaptés notamment à son goût pour les gros plans sur les visages des personnages, souvent autant enfermés dans l'image que dans leur environnement.
C'était bien sûr le cas à l'extrême dans le format carré de Mommy, qui évoluait en plus au gré des péripéties et qui succédait au 4/3 employé également de façon très pertinente dans Laurence Anyways pour filmer la transition de genre du personnage de Melvil Poupaud.
Une autre manière pour Xavier Dolan de "sortir du cadre" pour proposer une vision qui n'a pas son pareil.

La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, en intégralité sur CANAL+.